Jusqu’à la construction des barrages sur le Nil, notamment celui d’Assouan (terminé en 1970), d’importantes crues survenaient chaque année.
Le débordement du fleuve apportait le limon fertile permettant les cultures sur ses rives.
Au début de notre période géologique, il y a quelques milliers de siècles, quand les continents eurent pris, dans la dernière tourmente mondiale, à peu près les formes que nous leur connaissons, et quand les fleuves se mirent à tracer leurs lignes hésitantes, il se trouva que les pluies de tout un versant de l’Afrique furent précipitées, en une gerbe d’eau formidable, à travers la région impropre à la vie qui s’étend depuis l’Atlantique jusqu’à la mer des Indes, et que nous appelons la région des Déserts. A la longue, elle régla son cours, cette énorme coulée d’eau égarée dans les sables, elle devint Te Nil, et, avec une patience inlassable, elle se mit à son travail de fleuve, qui pourtant ne semblait pas possible en cette zone maudite : d’abord arrondir tous les blocs de granit épars sur son chemin dans les hautes plaines de Nubie, et puis surtout déposer peu à peu, peu à peu du limon par couches, former une artère vivante, créer comme un long ruban vert au milieu de ce domaine infini de la mort.
Pierre Loti, extrait de La mort de Philæ, 1907