Voilà un sujet aussi riche que passionnant !
J’ai eu plusieurs fois l’occasion de vous présenter des vues stéréoscopiques, parfois une image seule sur les deux d’origine, quelquefois des vues montées en animation, ou encore à regarder avec des lunettes spéciales. La variété des supports, l’ancienneté du système et le fait que ces vues aient aussi bien appartenu au domaine de la photographie commerciale qu’amateur ont fait que j’ai eu envie de développer un peu le sujet pour en donner une vue d’ensemble.
Voici donc un premier article sur la photographie en relief…
La perception tridimensionnelle
C’est l’interprétation par notre cerveau de ce que voient l’œil gauche et l’œil droit qui nous permet d’apprécier les distances et la tridimensionnalité de ce qui est devant nous.
Plus ce que nous regardons est éloigné, moins il y a de différence entre les deux points de vue. Mais si l’on regarde un objet proche, le décalage entre les deux vues sera important. C’est à partir de ce constat que naît l’idée de créer des images en 2 dimensions qui pourront en paraître 3. Sans dispositif adapté, reproduire artificiellement cette vision reste cependant problématique.
Au fil de l’histoire, de nombreux savants se sont penchés sur l’étude de la vision binoculaire et la représentation tridimensionnelle, mais c’est en 1832 que l’anglais Charles Wheatstone pose les premiers principes de la stéréoscopie et invente le stéréoscope à miroir en 1838.
Deux images, avec deux points de vue décalés sont regardées chacune par un œil au moyen de miroirs disposés à 90°. Ces images sont d’abord des dessins, mais la toute nouvelle technique de la photographie va immédiatement être mise à contribution dans cet appareil.
En 1840, Sir David Brewster perfectionne le système et remplace les miroirs par des lentilles : chaque œil sera toujours dirigé vers une image différente de l’autre, le principe de la plupart des appareils à stéréoscopies est inventé.
Brewster montre son appareil à l’Exposition universelle de 1851 à Londres, où il rencontre un vif succès, notamment auprès de la Reine Victoria.
Son appareil sera repris, décliné, amélioré, la photographie stéréoscopique va dès lors rencontrer un engouement populaire qui durera au moins jusqu’aux années 1960. Elle se fera ensuite plus discrète jusqu’aux grands succès du cinéma en 3D d’aujourd’hui.
Prendre des photographies stéréoscopiques
Pour créer les premières vues stéréoscopiques photographiques, il n’y avait pas d’appareil dédié. Il fallait déplacer l’appareil latéralement.
Cela signifie donc que les deux prises de vues n’étaient pas simultanées. Ainsi par exemple, sur cette image, les personnages et véhicules se sont déplacés entre les deux moments où le photographe a déclenché.
Puis des appareils spécifiques seront créés, permettant la prise de vues simultanée, grâce à 2 objectifs. L’écart des objectifs correspond à peu près à l’écart entre les deux yeux. Les appareils dédiés à la photographie stéréoscopique suivront les mêmes évolutions que les appareils normaux – négatifs sur verre, autochromes, négatifs sur film, diapositives, et deviendront également accessibles au grand public.
On trouve encore aujourd’hui des systèmes pour coupler des appareils, et la prise de vue en 3D reste d’actualité, même si c’est plus pour de la vidéo que pour de la photo…
Enfin, certains logiciels, pour smartphones notamment, se proposent de générer à partir d’une image traditionnelle, une seconde vue décalée. Résultats pas toujours probants…
Regarder des vues stéréoscopiques
Depuis la visionneuse de Brewster, de nombreux dispositifs ont vu le jour, même s’ils restent basés sur le même principe : un emplacement pour regarder à travers des prismes ou des lentilles, un emplacement pour installer les doubles vues.
Bien sûr, l’appareil lui-même ne sera pas du même type en fonction de la nature des vues (images sur carton, positifs sur verre, tissus, anaglyphes, etc. – je détaillerai tout ça dans un prochain article).
Le modèle de Brewster est conçu pour des vues stéréo montées sur carton. Un volet s’ouvre sur le dessus pour permettre à la lumière d’éclairer les images.
Pour ces vues, on peut utiliser également un stéréoscope dit « de Holmes », ou « stéréoscope mexicain ». Celui-ci est composé d’une sorte de masque que l’on place devant les yeux, et qui isole de son environnement. On tient l’appareil par une poignée. Une plaque placée devant le masque contraint le regard à ne voir que ce qui est en face, c’est à dire la carte stéréoscopique qui est placée sur un support dont on peut régler la distance pour le confort de ses yeux. L’appareil est généralement en bois, parfois en bois et métal (aluminium gravé ou embossé).
Avec ce genre de visionneuse, les images sont éclairées de toute part, ce qui permettra les effets de transparences des vues dites « tissus ».
La popularité des visionneuses stéréo gagne toutes les couches de la population, avec des visionneuses bon marché, aussi bien que très luxueuses, en bois précieux, véritables petits meubles à poser sur une table ou sur socle, comme le fameux Taxiphote Richard.
L’engouement pour les vues stéréoscopiques se trouve bien sûr renforcé quand la prise de vues peut être faite par des amateurs (dès le début du XXe siècle). Les clichés se font sur des plaques de verre 45x107mm ou 6x13cm. Des visionneuses plus petites sont donc proposées, mais les modèles évoluent peu. Celles en bois sont très courantes.
Certains stéréoscopes adoptent une construction plus ingénieuse. Par exemple ce modèle peu encombrant, qui se maintient ouvert grâce à un ressort. Il se replie et est maintenu fermé par une patte ajustée grâce à la crémaillère qui permet de régler la distance avec la plaque.
La photographie stéréoscopique amateur finira par être moins populaire, malgré le succès du Stereo Realist présenté un peu plus haut. Si les vues en relief nous sont pourtant si familières, c’est grâce au succès des cartes stéréo éditées par les sociétés Bruguière et Lestrade montrant des vues touristiques. Les fameux Stereoclic et Viewmaster en plastique moulé, et les stéréocartes qui les accompagnaient représentent à eux seuls un pan immense de la production stéréo du XXe siècle.
Aujourd’hui, la 3D connaît un regain de popularité avec le cinéma, où le spectateur est invité à porter des verres polarisants qui vont séparer les images sans affecter les couleurs ni nécessiter une double projection.
Quelques écrans auto-stéréo sont aussi à l’essai, mais leur utilisation semble très contraignante (1 seul spectateur qui doit être positionné en face à une distance précise…).
Du côté de la réalité virtuelle, les choses deviennent plus intéressantes. Pour quelques euros, on peut acheter par exemple un « cardboard », une visionneuse en carton à monter soi-même dans laquelle on glissera son smartphone. Des applications sont dédiées à l’affichage de deux écrans côte-à-côte (tiens tiens…) qui montrent des vues décalées. Petit truc en plus, les smartphones étant gyroscopiques, l’expérience est totalement immersive et la vision suivra nos mouvements de tête !
ps: Le téléphone installé dans un stéréoscope mexicain, ça marche aussi…
Enfin, depuis 2018 Facebook intègre la possibilité de présenter des images 3D produites à partir d’une carte de profondeur. L’occasion donc de tester avec les vues stéréo de la collection !
À suivre, d’autres articles où nous partirons à la découverte des différents genres de vues stéréoscopiques…
La photographie stéréoscopique : les french tissues et les diableries
Les anaglyphes