Les premiers films Kodak : une nouvelle ère photographique

Les premiers films Kodak : une nouvelle ère photographique

négatifs sur film 50x37mm – début des années 1900

Parmi les grands noms de l’histoire de la photographie, Kodak est peut-être le plus connu et sans doute l’un de ceux qui ont la plus longue et riche histoire.

La Eastman Dry Plate Company, qui deviendra la Eastman Kodak Company, est fondée par George Eastman en 1881. On est à l’époque des négatifs au gélatino-bromure d’argent sur plaque de verre, mais le pari d’Eastman est de trouver un nouveau support pour l’émulsion photosensible, plus solide et plus facile à utiliser. Pour cela, il va d’abord se tourner vers le papier, déjà utilisé dans certains procédés négatifs, et adapté au gélatino-bromure d’argent. Le nitrate de cellulose va remplacer le papier qui manque de finesse. Les recherches menées par l’équipe de l’entreprise permettent en 1884 la création du film photographique. Ce film présente l’avantage de pouvoir enchaîner les vues sur une bande, alors que les plaques de verres devaient être chargées seules ou par deux dans un châssis; on imagine dès lors comme le geste photographique va pouvoir se simplifier.

Mais certains inconvénients sont quand même à noter. Il faudra un appareil qui puisse recevoir un support pour film – appareils qui seront bien sûrs fabriqués tout d’abord par Kodak – et le traitement des films revient au fournisseur : Kodak vous vend un appareil chargé d’un film permettant de faire 100 vues, et vous renverrez l’appareil une fois prises les 100 photographies à Kodak qui fera le développement et installera un nouveau film.

C’est le fameux « You press the button – we do the rest. »

En 1888 donc, le premier film est commercialisé dans un première appareil photo, le Kodak n°1. C’est à cette occasion qu’est forgé le nom « Kodak ». Le premier film photographique mesure 70 mm de large , il est utilisé dans une box dont l’objectif est médiocre. L’appareil est équipé d’un masque circulaire qui ne gardera que la partie centrale de l’image, raisonnablement nette. Les tirages des clichés pris avec ce premier appareil sont très reconnaissables par leur format !


An original Kodak camera, complete with box, camera, case, felt lens plug, manual, memorandum and viewfinder card CC Kodakcollector

Dans les années 1890, la Eastman Company installe des bureaux et ateliers en France et va commencer à commercialiser ses appareils. L’arrivée en 1895 d’un modèle folding « Pocket » (qui va tenir dans la poche) introduit un nouveau format de film, 1½ x 2 pouces, soit 50x37mm, le film 102 (de nombreux formats de film seront produits ensuite, mais les plus grands succès seront le film 120 et le film 135). À partir de 1891, le film est enroulé avec une bande protectrice qui permet désormais un chargement plus sécurisé à l’abris de la lumière. Plus besoin d’envoyer son appareil à Kodak pour le recharger.

C’est ce format 102 que j’ai eu le plaisir de découvrir dans une pochette Kodak il y a quelques mois. La pochette avait du servir pour renvoyer des négatifs développés à leur propriétaire.

La date n’est plus visible sur l’oblitération, mais une étiquette au dos nous annonce un concours pour l’année 1903. Si tant est que les négatifs qui se trouvaient dans la pochette étaient ceux d’origine, nous voilà déjà avec une première datation.

En réalité, l’enveloppe contient tellement de négatifs qu’on voit bien qu’ils n’étaient pas tous dans la pochette de 1903 ! La preuve en image, avec ces jolies vues de l’Exposition universelle de 1900 :

On pourra comparer la qualité de l’image avec les négatifs sur plaque de verre de la galerie dédiée à l’Exposition universelle de 1900.
Les restaurant britannique et colonial Slater

Je serais très curieuse de savoir ce que l’arrivée du négatif sur film a provoqué chez les photographes, et surtout les photographes amateurs. Est-ce que cela a été comme pour nous, l’arrivée du numérique et le déclenchement qui passait des traditionnelles 36 poses à… l’illimité ? On pourrait aisément imaginer un parallèle entre les deux. Est-ce que l’acte photographique s’est soudainement libéré d’une contrainte technique qui obligeait à prendre du temps entre les prises de vues. On peut également penser au fait que les box n’ayant pas ou peu de réglages, il suffisait de pointer et déclencher (geste qu’on retrouve avec les appareils point-and-shoot plus tard).

On vise et on déclenche.

Pour apporter de l’eau à mon petit moulin, un série de vues de cyclistes au sommet de leur art :

Ou encore ces militaires qui jouent à la bagarre :

On constate que la qualité des images est très inférieure à celle des négatifs sur plaque de verre de la même époque. On peut s’interroger sur la qualité de l’appareil, la qualité du film, la qualité du développement et bien sur la vieillesse des négatifs.

Quelques négatifs présentent un aspect fortement réticulé :

Sur certains négatifs, on peut voir un numéro d’ordre qui s’est imprimé sur l’image. En effet, à partir de 1895, l’appareil dispose d’une petite fenêtre permettant de voir le numéro du cliché exposé !

Enfin, la qualité de l’objectif de l’appareil est toujours médiocre, et la netteté n’est toujours présente qu’au centre :

Néanmoins, on apprécie toujours autant les scènes de la vie quotidienne et ces lointains parents d’une autre famille…


L’arrivée du film n’a pas signifié pour autant la fin de l’utilisation des négatifs sur plaques de verre, bien au contraire. Alors que Kodak importe en France ses premières pellicules, l’entreprise Lumière rencontre le succès avec ses fameuses plaques « étiquette bleue ». On utilisera le verre en France jusque dans les années 40, même si le film souple est plus courant depuis une vingtaine d’années. Une fois encore, c’est l’aspect pratique, le coût, l’aisance que cela apporte à la prise de vue qui ont permis ce succès, qui ne s’est arrêté qu’avec l’arrivée du numérique.

Le support de film en nitrate de cellulose a disparu vers les années 50 : sa fragilité dans le temps et surtout sa forte inflammabilité sont problématiques. Depuis la fin des années 1930, l’acétate de cellulose, moins dangereux, le remplace. On trouve la mention safety film sur ces nouvelles pellicules.


À découvrir également : une frise chronologique de l’histoire de la Eastman Kodak Company

Et compléter avec la lecture de (re)Connaître et conserver les photographies anciennes, Bertrand Lavédrine – Comité des travaux historiques et scientifiques 2007, pour les aspects délicats de la conservation des films anciens.

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