Vers l’infini et au-delà

Vers l’infini et au-delà

Une nouvelle fois, je vous propose de découvrir des objets photographiques qui ne sont ni anonymes, ni amateurs.

En effet, j’ai enrichi ma collection avec cette petite série de plaques pour lanterne magique, ayant pour thème l’observation astronomique. Comme c’est souvent le cas, ces plaques à projeter sont issues d’une production commerciale, en série. Ce ne sont donc pas des photographies originales.
Comme on a pu le voir pour les plaques montrant les dégâts du tremblement de terre de Messine ou encore celle d’une étincelle électrique, les sujets abordés peuvent avoir une vocation informative ou éducative. Le cadre exact d’utilisation de ces plaques ne m’est pas connu, cependant on peut imaginer qu’on pouvait déjà à l’époque collectionner des plaques de photographies d’astronomie ! Celles-ci auront ainsi pu servir dans une école, lors de conférences, chez un particulier ou encore être montrées dans des foires.

Voici donc l’occasion de se pencher un peu plus longuement sur ce sujet.

Les lanternes magiques et l’astronomie

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Huygens, esquisse pour la fabrication d’une plaque animée montrant un squelette inspiré par Hans Holbein. © Leiden University Library

Le développement des instruments optiques au XVIIe siècle a eu le même impact sur l’astronomie que sur les lanternes magiques. Rappelons que l’invention de ces dernières est attribuée à l’astronome hollandais Christiaan Huygens, en 1659. Cette invention, il tient à la garder secrète car elle lui semble trop éloignée de ses travaux d’astronomie : il ne veut pas passer à la postérité pour avoir apporté au monde une machine à amuser les gens ! Pourtant, il crée également la première plaque à mécanisme (un squelette animé, inspiré des gravures d’Hans Holbein).
Huygens nous a laissé la lanterne magique, mais également d’autres inventions et théories novatrices, et en tant qu’astronome il fut également un grand (re)découvreur des étoiles de la nébuleuse d’Orion.

Schéma de la lanterne de Thomas Walgensten en 1665. Une bougie produit la lumière, un miroir en augmente la brillance. La lentille canalise et agrandit le faisceau lumineux. On insère la plaque à projeter entre la lumière et la l’objectif.

Les lanternes magiques se propagent dans toute l’Europe, avec un usage tantôt récréatif, tantôt éducatif, parfois même prosélyte. Dans les mêmes années, l’astronomie fait de grandes avancées, et celles-ci passionnent le grand public.

En 1774, l’astronome Charles Messier publie son Catalogue des nébuleuses et des amas d’étoiles. Il recense une centaines d’objets célestes, notés M1 à M110, qui ne sont pas des étoiles : galaxies, nébuleuses, etc. D’autres catalogues existeront ensuite, plus complets, notamment le General Catalogue de William Herschel (à qui l’on doit la découverte d’Uranus et la corrélation entre les taches solaires et les variations climatiques) ou encore le New General Catalogue of Nebulae and Clusters of Stars de John Dreyer, indexant plus de 8000 objets du ciel profond, qui va fournir l’appellation NGC. Il le complète quelques années plus tard par l’Index Catalogue, donnant quant à lui le nom IC à quelques 5000 objets supplémentaires.

La lanterne magique va être pendant toute cette période un vecteur formidable pour les découvertes et la propagation des savoirs basiques. Éclipses, système solaire à 6, puis 7 planètes, marées, mouvement des étoiles, phases de Vénus ou encore système ptoléméen… les plaques animées expliquent et fascinent, certaines sont même des prouesses mécaniques. On commercialise également des jeux de plaques avec leurs livrets explicatifs.

Dans un genre plus populaire, on trouve aussi des plaques montrant les constellations, doublées d’une seconde plaque montrant leurs figures mythologiques, et bien sûr les représentations astrologiques et zodiacales.

Toutes ces plaques sont des plaques peintes. Il va falloir attendre les plaques au gélatino-bromure d’argent à la fin du XIXe siècle pour que la photographie s’invite dans les projecteurs lumineux…

La photographie d’astronomie

La photographie, inventée dans la première moitié du XIXe, a du mal a fixer les images à la lumière du jour dans ses débuts. Il semble prématuré de chercher à capturer le ciel noir. C’est pourtant François Arago, directeur des observations à l’Observatoire de Paris, qui va soumettre aux députés français en 1839 l’idée d’acheter à Daguerre son brevet « pour le mettre à disposition de la France et du monde ». L’astronome comprend immédiatement ce que cette toute jeune invention va pouvoir apporter à la science. Et la bibliothèque de l’Observatoire commencera à collecter des images.

Quelques daguerréotypes astronomiques sont produits, puis dans les années 1880 les rares clichés seront sur plaques au collodion humide. La faible sensibilité de ces procédés ne s’accorde guère avec la photographie d’objets peu lumineux. Les expositions sont de l’ordre de 30, 60 minutes, voire beaucoup plus ! N’oublions pas que la Terre tourne et qu’il faut compenser cette rotation lors de poses longues. Cela devait relever de l’épreuve pour le guidage !

Le support photographique s’améliore, de grands télescopes de plus en plus lumineux sont construits et de nouveaux systèmes d’observation sont inventés.

Au début du XXe siècle, la photographie est prête à servir l’astronomie. On s’engage même dans un projet titanesque : la cartographie du ciel.

Les images produites vont pouvoir être diffusées au grand public, imprimées dans les revues, dupliquées sur des diapositives à projeter. Souvent, les mêmes compagnies qui vont produire les instruments scientifiques vendront également des plaques de lanterne magique. Les associations d’astronomes en produiront aussi, comme la Royal Astronomical Society, à Londres.
L’intérêt pour les plaques à projeter va cependant décliner dès les années 1920. The Keystone View Company, qui produit également de nombreuses cartes stéréoscopiques, arrêtera la diffusion de ses jeux de plaques d’astrophotographie dans les années 1950. La NASA en produira jusqu’au début des années 1970, sans doute les toutes dernières jamais fabriquées, tous sujets confondus !

Lanterne magique anglaise de la marque Newton datant du début du XXe siècle. © Le chronoscaphe

Les plaques du chronoscaphe

Nous y voilà !

Remarquons d’abord que les huit photographies qui suivent viennent toutes d’Angleterre, et la plupart sont éditées par la Royal Astronomical Society. D’ailleurs une grande partie de mes plaques pour lanterne magique en photographie proviennent d’outre-Manche. On peut observer également que beaucoup de textes sur la question sont anglo-saxons (The Magic Lantern Gazette, numéro spécial astronomie justement !). L’intérêt des Français s’est-il estompé avec la fin des plaques peintes à la main ? Il faudra sans doute approfondir mes recherches à ce sujet.

Voici donc ces extraordinaires plaques, que je ne peux vous présenter sans ajouter quelques informations complémentaires relatives à leur sujet si particulier.

Les textes des légendes sont ceux inscrits sur les plaques, mais j’ai retiré les informations techniques concernant la prise de vue. N’hésitez pas à me les réclamer !

Sun - 1920, January 25 Royal Observatory Greenwich
Sun – 1920, January 25 – Royal Observatory Greenwich

Voici une photographie montrant la surface visible du Soleil, la photosphère. Lorsque l’activité magnétique se renforce sur une certaine zone, la température de celle-ci diminue et une tache sombre apparaît : une tache solaire. Ces taches sont intermittentes. Leur nombre croît ou décroît en fonction du moment dans le cycle solaire (11 ans). Une faible présence de taches signifie une faible activité magnétique. Observé sur une plus longue période, on appelle cela un « minimum », comme le « minimum de Maunder » que l’on date de 1645 à 1715, et que l’on tend à associer avec une période de refroidissement du climat sur la Terre.

Le Soleil étant un objet très lumineux, il est naturellement l’un des premiers à être photographiés par les astronomes. En 1845, un tel daguerréotype ne nécessitait « que » 60 secondes de pose.

Solar Prominences - 1916, May 26 8h 6m - Evershed
Solar Prominences – 1916, May 26 8h 6m – Evershed

Les protubérances solaires sont des projections de plasma, ici visibles sur le bord de l’étoile.

La photographie de ce phénomène nécessite un système d’observation particulier, ou les conditions exceptionnelles des éclipses solaires. En effet, la forte luminosité émise par le Soleil nous masque ces éruptions.

En 1931, Bernard Lyot invente le coronographe, qui permet de simuler l’éclipse en occultant le Soleil. Un masque est placé devant l’image du disque solaire, et la lumière diffractée par le bord de l’objectif est éliminée : il ne reste que la lumière du pourtour et des éventuels objets lumineux à proximité. C’est l’une des méthodes utilisées aujourd’hui pour détecter des exoplanètes.

Mais ici la photographie est bien antérieure à l’invention du coronographe. Et pour l’année 1916, il y a bien eu une éclipse totale du soleil, mais en février, pas en mai…

Une autre plaque de la même série porte la mention : « Solar prominences photographed through a spectroheliograph, Kodaikanal Observatory, India by John Evershed, 1916 May 26 ». Le spectrohéliographe est un instrument permettant de capturer l’image d’une raie choisie du spectre de la lumière du Soleil. La lumière passe au travers d’une fente, l’objectif se déplace devant, et il se forme sur la plaque de verre sensible une image du soleil dans la longueur d’onde désirée.

John Evershed, l’astronome auquel cette photographie est attribuée, s’était spécialisé dans l’observation du soleil.

Nebula Messier 101 Ursae Majoris
Nebula Messier 101 Ursae Majoris

Quittons le système solaire. Voici M(essier)101, qui porte également le nom NGC 5457 ou ceux plus élégants de galaxie du Moulinet et Pinwheel Galaxy en anglais… Elle est découverte en 1781 par Charles Messier et Pierre Méchain, et William Herschel observera les bras de la spirale. M101 est une grande galaxie, de la taille de la Voie Lactée (la galaxie où se trouve la Terre). Elle est située, de notre point de vue, dans la constellation de la Grande Ourse.

NGC 224 Great Spiral in Andromeda Messier 31
NGC 224 Great Spiral in Andromeda Messier 31

Bien plus connue, M31, alias NGC 224, alias la galaxie d’Andromède. Elle est observée au télescope par l’astronome allemand Simon Marius en 1612, et est photographiée pour la première fois en 1887. C’est la grande galaxie la plus proche de nous.

La forme « en spirale » est celle qui nous est la plus familière pour les galaxies, mais celles-ci peuvent prendre d’autre aspects. Ici on peut voir deux galaxies satellites de M31 : M32 et NGC 205, qui sont des galaxies elliptiques.

Étymologiquement, galaxie signifie « cercle laiteux ». M31 étant vue presque de profil, le côté circulaire nous échappera cette fois, et pour le côté laiteux, on peut toujours chercher dans la Voie Lactée…

NGC 1976, 1977 Great Nebula in Orion - Lick Observatory Mayall 1938 February 25
NGC 1976, 1977 Great Nebula in Orion – Lick Observatory – Mayall – 1938, February 25

NGC 1976 est la grande masse nébuleuse du bas de l’image, plus connue sous le nom de nébuleuse d’Orion (M42). NGC 1977 est la nébuleuse du haut de l’image, dite de L’homme qui court (vous le voyez ?).

Une nébuleuse est un objet composé de gaz et de poussières. C’est l’effondrement gravitationnel de ces composants qui va permettre la formation de nouvelles étoiles.
La nébuleuse d’Orion est dite nébuleuse par réflexion, c’est à dire qu’elle réfléchit la lumière des étoiles alentours.

Field of Nebulae (Perseus) – Mt Wilson

L’amas de Persée est un ensemble très lointain de centaines de galaxies. Il est également nommé Abell 426. Il s’agit d’un des objets célestes les plus massifs de l’univers. Observé dans le domaine des rayons X, il est l’objet le plus brillant du ciel.

Nebula IC 5146 Cygnus
Nebula IC 5146 Cygnus

IC 5146 est composé d’étoiles en amas ouvert également, et d’une nébuleuse en émission, la nébuleuse du Cocon. « En émission » signifie que la nébuleuse est composée de gaz ionisés qui absorbent la lumière des étoiles chaudes proches et en produit à son tour.

La couleur dominante, dont on ne peut pas profiter sur ces photographies, sera souvent le bleu pour les nébuleuses par réflexion, et le rouge pour les nébuleuses par émission, voire rouge au centre et bleu en bordure comme c’est le cas pour la nébuleuse du Cocon.

ω Centauri 1903 February 19 - Royal Observatory Cape.
ω Centauri – 1903, February 19 – Royal Observatory Cape.

Omega Centauri, ou NGC 5139, est un amas globulaire de la Voie Lactée. L’amas globulaire est un regroupement d’étoiles dense. Il se forme dans les bras d’une galaxie et regroupe des étoiles très anciennes.

Omega Centauri a été découvert par Edmond Halley (le même qui a observé la périodicité de la comète qui porte son nom), qui a cru que c’était une étoile seule. Dans les années 1830, John Herschel (fils de William) reprendra cette observation avec du matériel plus performant, et découvrira qu’il ne s’agit pas d’une mais d’un ensemble d’étoiles.

 

Ces huit photographies reproduites sur des plaques de lanterne magique datent du début du XXe siècle à la fin des années 1930. L’optique a fait des progrès fulgurants, la photographie également sur une période très courte. Ces domaines ont toujours été très liés, et c’est finalement principalement par ce vecteur que le très lointain nous est devenu accessible.

Aujourd’hui, l’astrophotographie professionnelle n’utilise plus les procédés argentiques. Les observatoires, les télescopes spatiaux et les sondes ont adopté très tôt les capteurs numériques.

M101
M101 vue par Hubble
Credit for Hubble Image: NASA, ESA, K. Kuntz (JHU), F. Bresolin (University of Hawaii), J. Trauger (Jet Propulsion Lab), J. Mould (NOAO), Y.-H. Chu (University of Illinois, Urbana), and STScI
Credit for CFHT Image: Canada-France-Hawaii Telescope/ J.-C. Cuillandre/Coelum
Credit for NOAO Image: G. Jacoby, B. Bohannan, M. Hanna/ NOAO/AURA/NSF
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